CHEZ LE GRAND PERE
On n avait pas fini de souper, et déjà André donnait de gros baisers
à son grand papa, dont le menton piquait, piquait.
Puis monté tout droit sur les genoux du bonhomme,
il lui enfonçait le poing dans la joue, en lui demandant
pourquoi c 'était creux.
----Parce que je n ai plus de dents
----Et pourquoi tu n as plus de dents ?
----Parce qu elles étaient devenues noires et
que je les ai semées dans le sillon pour voir
s'il n en pousserait point des blanches.
Et André riait de tout son coeur.
Les joues de son grand père, c 'était bien autre chose
que les joues de sa maman !
A son réveil, il découvrit la basse cour.
Surpris, émerveillé, enchanté, il vit les poules,
la vache, le vieux cheval borgne et le cochon.
Quand c 'était l heure du repas, on parvenait à
grand peine à le ramener, couvert de paille et de fumier,
avec des toiles d araignée dans les cheveux,
les mains noires, les genoux ecorchés, les joues roses,
riant, heureux.
----Ne m ' approche pas petit monstre !
lui criait sa mère.
Et c ' étaient des embrassements sans fin.
Anatole France