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très beau texte de Berna(rd Pivot (envoye par mon ami Claude)
12/06/2018 06:38
Vieillir, c'est chiant. J'aurais pu dire: vieillir, c'est deĢsolant, c'est insupportable, c'est douloureux, c'est horrible, c'est deĢprimant, c'est mortel. Mais j'ai preĢfeĢreĢ Ā« chiant Ā» parce que c'est un adjectif vigoureux qui ne fait pas triste. Vieillir, c'est chiant parce qu'on ne sait pas quand ça a commenceĢ et l'on sait encore moins quand ça finira. Non, ce n'est pas vrai qu'on vieillit deĢs notre naissance.
On a eĢteĢ longtemps si frais, si jeune, si appeĢtissant. On eĢtait bien dans sa peau. On se sentait conqueĢrant, invulneĢrable. La vie devant soi. MeĢme aĢ cinquante ans, c'eĢtait encore treĢs bien. MeĢme aĢ soixante. Si, si, je vous assure, j'eĢtais encore plein de muscles, de projets, de deĢsirs, de flamme.
Je le suis toujours, mais voilaĢ, entre-temps j'ai vu dans le regard des jeunes, des hommes et des femmes dans la force de l'aĢge qu'ils ne me consideĢraient plus comme un des leurs, meĢme apparenteĢ, meĢme aĢ la marge.
J'ai lu dans leurs yeux qu'ils n'auraient plus jamais d'indulgence aĢ mon eĢgard. Qu'ils seraient polis, deĢfeĢrents, louangeurs, mais impitoyables. Sans m'en rendre compte, j'eĢtais entreĢ dans l'apartheid de l'aĢge. Le plus terrible est venu des deĢdicaces des eĢcrivains, surtout des deĢbutants. Ā« Avec respect Ā», Ā« En hommage respectueux Ā», Avec mes sentiments treĢs respectueux. Les salauds ! Ils croyaient probablement me faire plaisir en deĢcapuchonnant leur stylo plein de respect? Les cons ! Et du Ā« cher Monsieur Pivot Ā» long et solennel comme une citation aĢ l'ordre des Arts et Lettres qui vous fiche dix ans de plus !
Un jour, dans le meĢtro, c'eĢtait la premieĢre fois, une jeune fille s'est leveĢe pour me donner sa place. J'ai failli la gifler. Puis la priant de se rasseoir, je lui ai demandeĢ si je faisais vraiment vieux, si je lui eĢtais apparu fatigueĢ. Ā« Non, non, pas du tout, a-t-elle reĢpondu, embarrasseĢe. J'ai penseĢ que... Ā»
Moi aussitoĢt : Ā«Vous pensiez que...?
-- Je pensais, je ne sais pas, je ne sais plus, que ça vous ferait plaisir de vous asseoir. Parce que j'ai les cheveux blancs? Non, c'est pas ça, je vous ai vu debout et comme vous eĢtes plus aĢgeĢ que moi, ça eĢteĢ un reĢflexe, je me suis leveĢe...
-- Je parais beaucoup, beaucoup plus aĢgeĢ que vous? Non, oui, enfin un peu, mais ce n'est pas une question d'aĢge...
--Une question de quoi, alors ? Je ne sais pas, une question de politesse, enfin je crois...Ā» J'ai arreĢteĢ de la taquiner, je lâai remercieĢe de son geste geĢneĢreux et lâai accompagneĢe aĢ la station ouĢ elle descendait pour lui offrir un verre.
Lutter contre le vieillissement c'est, dans la mesure du possible, ne renoncer aĢ rien. Ni au travail, ni aux voyages, ni aux spectacles, ni aux livres, ni aĢ la gourmandise, ni aĢ l'amour, ni aĢ la sexualiteĢ, ni au reĢve. ReĢver, c'est se souvenir tant qu'aĢ faire, des heures exquises. C'est penser aux jolis rendez-vous qui nous attendent. C'est laisser son esprit vagabonder entre le deĢsir et l'utopie. La musique est un puissant excitant du reĢve. La musique est une drogue douce. J'aimerais mourir, reĢveur, dans un fauteuil en eĢcoutant soit l'adagio du Concerto n° 23 en âla-majeurâ de Mozart, soit, du meĢme, l'andante de son Concerto n° 21 en âut-majeurâ, musiques au bout desquelles se reĢveĢleront aĢ mes yeux pas meĢme eĢtonneĢs les paysages sublimes de l'au-delaĢ.
Mais Mozart et moi ne sommes pas presseĢs. Nous allons prendre notre temps. Avec l'aĢge le temps passe, soit trop vite, soit trop lentement. Nous ignorons aĢ combien se monte encore notre capital. En anneĢes ? En mois ? En jours ?... Non, il ne faut pas consideĢrer le temps qui nous reste comme un capital. Mais comme un usufruit dont, tant que nous en sommes capables, il faut jouir sans modeĢration.
ApreĢs nous, le deĢluge ?...Non,
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